L'autoroute des vacances - Episode 2
Depuis notre départ du Cap Vert, le vent de Nord Est est de force 5-6 et la mer est agitée rendant notre bateau plus inconfortable. Etienne se réjouit car on fait des pointes à 8 noeuds et qu'à ce rythme, il nous resterait 11 jours de mer mais ce genre de prévision ne nous a jamais porté chance, alors... Ca me fait trouver le temps long et puis, Noël sans ma fille...
André s'est fait assommer pendant son quart. Tout seul, à 6h30, on peut dire que ça lui a fait un choc ! Il a gardé une preuve sur son bonnet : une odeur de poisson et une rangée d'écailles argentées. Un poisson volant est venu le heurter, se vengeant sûrement pour le sort qu'il réserve aux collègues dorades ! Surprenant !
C'est l'hiver. Ca se fête ! Ca commence par 2 dorades péchées dès le lever du jour. On s'enfile ainsi 2 kg de poisson mayonnaise ("faite bateau" par André) au déjeuner. La 2ème dorade finira à la Tahitienne le soir à l'heure de l'apéro... Ainsi, passée la séance dépeçage des bestiaux, tout le monde prend son bain dans une eau à 27,6 degrés. Nouzotre avons une immense baignoire à notre disposition, mais il faut arrêter le bateau pour en profiter !
L'après-midi est laborieuse, surtout pour le bateau qui trace la route à 7 noeuds de moyenne, car pour les autres c'est une longue sieste digestive... Puis André décide de monter sa ligne pour le "gros", et même, n'ayons pas peur des mots, pour le "très gros" : 700 m de nylon fin et 50 m de nylon épais prolongés par une pieuvre lestée aux reflets rose fluo. Il y a fort à parier que notre dinde de noël aura des arêtes! Enfin pour terminer, méditation devant un coucher de soleil somptueux puis petite leçon d'astronomie. Ainsi va la vie à bord d'Equinox. Tiens, il n'y avait pas atelier scrabble ce soir ...
Joli lever de soleil, accompagné de 3 pailles-en-queue, oiseau blanc au bec jaune, yeux en amande noirs avec comme une paille dans le ... On se demande comment ils peuvent être là, si loin des côtes au milieu de nulle part.
Nous avons navigué entre les grains, nous obligeant à régler sans cesse les voiles et à continuer de se faire chahuter.
Nous avons enfin aperçu un signe de vie humaine, un supertanker au loin (6 miles), tellement grand qu'on a d'abord pensé à 3 bateaux.
La dorade coryphène s'est faite désirer et a attendu le coucher de soleil pour s'inviter à bord. En la vidant, André sort de son estomac un exocet. Il ne s'agit pas là d'un célèbre missile de conception française mais d'un poisson volant, premier maillon de cette chaîne alimentaire réunie sur Equinox en cette fin de journée et dont votre narratrice constituera bientôt le dernier élément en dégustant la dorade.
La fin d'année approche, une année formidable, bien remplie, riche en enseignements et intense en émotion pour notre petite famille. En effet, elle avait commencé par des vacances fabuleuses en Guadeloupe avec des amis très chers, entravées par un tsunami ravageur. Puis un projet a germé et finit par mûrir en avril mai en entraînant un second dans son sillage, tandis que je venais à peine de recommencer à travailler. Le premier étant de faire une pause d'un an sur un bateau (une idée un peu folle vous en conviendrez), le second, de nous marier (un peu folle aussi celle-là), occasion de réunir tous ceux que l'on s'apprêtait à quitter 3 mois plus tard. Projets tenus, non sans effort et à coups répétés de longues journées aux nuits très courtes, de prises de bec, de larmes et de franches rigolades. On a vécu par deux reprises des expériences de voile aux Glénans qui, en plus de nous avoir enseigné les rudiments, ont changé nos regards sur bien des choses. On a eu beaucoup de chance dans nos rencontres pour l'organisation d'un chouette mariage en trois mois et la préparation d'un bateau en une durée équivalente pendant laquelle il a également fallu tout quitté avec un déménagement plutôt douloureux. Bien sûr, des événements sont venus entraver le bon déroulement des choses mais nous avons su y faire face ou les refuser en bloc. C'est ce qui continue de se passer, une fois les amarres larguées.
- que Jean-Marie était malade le 24 au soir, puis moi le 25 après-midi, suite vraisemblablement à une préparation tahitienne n'ayant pas gardé toute sa fraîcheur. Dans ces conditions et sans notre petite fille, Noël n'était pas vraiment Noël, on a quand même fini par sortir le champagne, ingurgiter le Blaff (ça sonne bien !!) de poissons (dorade évidemment) préparé par André ainsi que le délicieux gâteau au chocolat !
- qu'à force d'être vent arrière, les coulisseaux de la grand voile cèdent et s'éjectent. Pour mieux comprendre c'est un problème de tringle à rideaux !
- qu'il sert d'avoir deux WC à bord car après la réparation de l'un, c'est la poignée de l'autre qui reste dans la main. On a attendu deux jours que la mer se calme un peu, en vain, pour qu'Etienne soit apte à démonter la pompe à chiottes et en remplace tous les joints, ceux du kit RM69 que l'on ne présente plus.
- que lundi 26 décembre, nous nous sommes baignés par plus de 5000 mètres de fond en plein milieu de l'Atlantique. Histoire de s'assurer que l'eau n'est pas de la peinture bleue comme on peut le soupçonner en l'admirant ! Et en gardant l'oeil ouvert pour ne pas voir d'ailerons pointer (inutile en effet de jouer l'avant dernier maillon de la chaîne alimentaire) ! Occasion aussi de s'apercevoir que la coque d'Equinox se transforme en ferme piscicole, ce qui explique mieux la présence de cette dorade qui avait fait un bout de "route" derrière nous avant qu'André ne l'éperonne.
- que l'eau du bain a atteint les 28 degrés.
- que mardi 27 décembre, une fois nos estomacs rétablis, la mer a compris qu'il fallait nous réconcilier avec les poissons et que nous voulions manger autre chose que de la dorade : Jean-Marie a sorti de l'eau un Marlin voilier de 2 mètres de long ... encore environ 25 kg de chair fraîche à cuisiner ... C'est un très long poisson bleu argent avec un rostre (très long bec pointu et effilé) lui permettant d'assommer les poissons. Trop c'est trop, nous en avons rejeté un bon quart à la mer et malgré ça, ce Marlin nous a enchantés au cours de 5 très bons repas qui ont suivi (papillote, à la crème et aux pâtes, à la crème et aux papas arrugadas - si vous passez par les Canaries, n'hésitez pas à croquer ces délicieuses patates cuites dans une eau saturée en sel - et enfin cuit au court bouillon et servi froid avec de la mayonnaise faite bateau).
- que j'ai joué l'infirmière avec André qui s'est coupé le dos de la main en voulant rogner l'os du jambon serrano. on a fini par en voir le bout !
- que nous avons reculé petit à petit de trois heures nos horloges pour suivre le soleil.
- que les bananes achetées vertes au Cap vert ne jaunissent pas et sont en fait des bananes-légume à cuire.
- que Jean-Marie dort avec une poule, euh non, une cocotte ... minute !
- que nous avons payé cher notre soirée cinéma si tranquille. Nous filions à 6-7 noeuds en vent arrière, voiles en ciseaux, génois tangonné, mer belle, vent constant. Nous en avons profité pour veiller devant un DVD. C'est beau la technologie, pouvoir se payer le luxe de regarder un film aux images de désert marocain en plein milieu de notre désert Atlantique sous la voûte céleste ! Mais la nuit fut agitée, le vent a forci, la mer aussi, des grains se sont succédés. Seule nuit où nous avions décidé de garder le tangon et un seul ris dans la grand voile au lieu des deux pris systématiquement la nuit par sécurité. André et Jean-Marie ont du enlever le tangon en milieu de nuit et André a réveillé tout le monde en catastrophe sous un grain juste avant le lever du jour car le bateau, trop toilé, avançant à 11 noeuds sous les rafales devenait incontrôlable. Coup de speed et de stress, encore une fois bien géré, juste un manque d'anticipation à regretter !
- qu'il y a une nouvelle tempête tropicale, Dzéta, annoncée entre les Canaries et nous.
- que nous risquons d'arriver avec les 2 réservoirs d'eau douce quasi pleins, suite à une politique de gestion des ressources très stricte à bord ...
- que c'est long, mais que c'est bon ...
- que l'on cherche une connerie à faire pour le soir du nouvel an ... une fusée de détresse ? Je plaisante ...
Bonne Année à tous les lecteurs de ce blog !
Peu de privilégiés ont du passer la nouvelle année dans les mêmes conditions que nous. En tout cas, dans les parages, nous sommes vraiment seuls. C'est à se demander si RFI n'annonce pas la météo, tous les matins, rien que pour notre bateau dans la zone !
Rude journée en tout cas ! Avec tout ce qu'on prévoyait de faire mijoter, avec les moyens du bord, un second Marlin a eu la riche idée de se joindre à la fête en fin d'après midi du 31 décembre ! Quelle prise ! André l'a laissé partir avec 800 mètres de fil, il l'a ramené à la force du poignet, depuis il a des courbatures ! Le Marlin a surgi hors de l'eau à 3 reprises afin que l'on puisse jauger de la puissance de l'animal : des sauts de 3 mètres à la verticale pour un poisson de 2 mètres et de 50 kg, 2 fois plus gros que le précédent. Jean-Marie aussi a eu droit à ses blessures de lutte acharnée, griffures et éraflures pour tenter de le maîtriser.
Ca a occupé les hommes une bonne partie de l'après-midi et des jours suivants, réjouis de pouvoir rejoindre leur femme avec des conserves et de la chair séchée au sel pour leur concocter de la chiquetaille ! On n'arrivera pas les mains vides (ne pas compter sur le champagne ...) et nous pourrons partager un peu de ce dont on s'est délecté pendant cette traversée.
On a eu un petit stress, hier soir, au moment d'allumer le moteur pour recharger les batteries. Pas une once de ronflement ne se fait entendre. Nous étions de toute façon très confiants car nous savons qu'André n'est pas seuleument spécialiste de la pêche ! En effet, pas d'affolement, il l'a mis en route en mettant en contact les 2 fils magiques et a incriminé le pauvre malheureux bouton de l'allumage déconnecté.
Nous sentons la terre de plus en plus proche en estimant que ce périple prendra fin dans 2 jours. on en aura bientôt fini de cette mer forte avec ses vagues toujours plus grosses qui finissent par agacer vraiment nous empêchant de déguster sereinement nos subtiles préparations cullinaires !
Une page se tourne. Un chapitre s'achève.
Depuis mardi, deux nouvelles prises : une dorade pour moi et une bonite de 25 kg pour Etienne. Un dernier ballet de dauphins nous a conduit vers Marie-Galante.
Nous nous sommes aménagés un petit sas de décompression en mouillant hier soir à Saint-Louis de Marie-Galante à 22 heures (locales, je rappelle qu'il y a 5 heures de décalage avec la métropole, à ajouter). Nos femmes et enfant (!) n'ont pas pu nous y rejoindre. Alors, nous nous sommes empressés de gonfler l'annexe pour poser pied à terre et un vrai jardin musical nous a permis de boire et manger... Le reste nous appartient; une nuit sans quart, sans vague, sans vent, sans secousse, sans gite, sans bruit, sans voile, sans moteur, sans avancer, sans stress, ...
Ce matin, à 6h30, nous faisions des plongeons tout autour du bateau, heureux comme des poissons dans l'eau. Dire que c'est le début d'une grande série de baignades dans des lieux paradisiaques, aux eaux claires chaudes, si chaudes ...
Il est maintenant 11 heures et nous sommes partis à la rencontre sur les flots, évidemment, d'un autre voilier qui a à son bord Lili, Angèle, Marie-Noëlle, Jacques, Nico et Alex. Nous devons nous retrouver à l'îlet Gosier en Guadeloupe. L'effervescence règne, les papys s'afférant au rangement de leurs chambrées respectives, bagages faits, même s'ils ne sont pas forcément pressés de partir, je pense, mais pour faire bonne impression ! Rasés de près en prime !
Les retrouvailles avec notre petite Lili sont fortes. Elle plonge du bateau pour venir à notre rencontre. Son papa fait de même puis c'est au tour de sa maman qui, tenant la barre du bateau, a mis plus de temps à réaliser que c'était bien sa fille qui plongeait et qu'elle pouvait la rejoindre dans cette mer qui l'avait portée jusqu'à elle. Voilà la petite famille réunie dans l'eau avec la Soufrière en arrière plan. Entourés de tous les proches sur les 2 bateaux, nous ne sommes que tous les trois dans l'eau et c'est si bon, si bon ! Puis direction le mouillage de l'ilet Gosier pour fêter l'évènement !
Une expérience gravée à jamais dans 4 têtes folles.
Distance : 3333 miles nautiques parcourus depuis La Goméra aux Canaries pour arriver à Marie-Galante
Temps : 23 jours 8 heures (7 jours des Canaries au Cap Vert puis 16 jours 8 heures du Cap Vert à la Guadeloupe)
Rencontres :
- 8 groupes de dauphins plus ou moins nombreux
- 7 bateaux, 3 seulement vus de nos yeux vus et 4 fois des feux au loin dans la nuit, aucun voilier croisé
Pêche : 15 poissons, 12 dorades coryphènes (2 à 3 kg), 2 Marlins (25 et 50 kg) et et 1 bonite (25 kg)