L'autoroute des vacances - Episode 1

Publié le par Alexandra et Etienne

 
Lundi 12 décembre, départ du port de La Gomera à 15h30

Jour où Etienne a jeté son dévolu sur moi (!) en 1992, on se tâte... pour le grand départ. Le flegme et l'expérience de Jean-Marie nous indiquent que cette petite hésitation est normale avant la coupure que nous nous apprêtons à consommer. D'autres, aux mêmes aspirations que les nôtres, finissent par rester aux Canaries ou ailleurs et ne se lancent finalement jamais dans la traversée.
Encore une séance météo sur internet, des discussions avec trois autres bateaux français en partance mais pas vraiment dans les starting-block. En échange d'un enregistrement météo sur RFI que nous n'avons pas pu capter ce matin là, Etienne passe ses cartes météo récupérées un peu plus tôt sur sa clef USB à l'un d'eux et, premier coup de sang de la journée, nous récupérons la clef HS.
Deuxième énervement, plus de gaz dans la bouteille lorsque mes intentions de préparer le repas et ceux des premiers jours de navigation sont intenses.
Troisième agacement, on commence à manger dehors quand il se met à pleuvoir. Puis le voisin revient, une clef USB à la main, nous demandant si elle n'est pas à nous. "Non, la notre, tu nous l'as niquée !" pense très fort Etienne.
Je fais la vaisselle et m'aperçois que nous quittons le ponton. Alors là, le quatrième coup de gueule se fait sentir car je ne suis pas officiellement avertie, on ne me prévient pas, on ne me demande pas si je suis prête et surtout on me demande de filmer alors qu'on ne m'accorde pas le droit de participer aux manoeuvres de départ. Je m'exécute en me contenant (on fait des efforts dans la promiscuité !) et nous rigolons bien car Jean-Marie fait tomber la gaffe à l'eau, Etienne râle, il manoeuvre dans le port pour la récupérer puis c'est la brosse du balai qui fait plouf, alors là, tant pis... Tout ça est dans le caméscope que je suis en train de ranger en sortant du port. J'entends Etienne me crier "Attention aux vagues du ferry" et toute la vaisselle en cours fout le camps et moi avec. J'explose en criant aux trois mecs le fond de ma pensée et eux finissent par se marrer en m'entendant crier que s'ils cherchent une femme de ménage, ils n'ont qu'à en embaucher une à La Gomera !
Cinquième anomalie : la position GPS ne s'affiche plus à l'ordinateur. Etienne résout le problème et...
Sixième gueulante : le PC annonce une erreur sérieuse avant de s'éteindre et rebooter. Là, c'est Etienne qui est dans tous ses états. Ca rentre dans l'ordre jusqu'à l'accalmie et justement...
Septième tension à bord, c'est tellement calme qu'il n'y a plus de vent, on commence au moteur. Avec 80 heures d'autonomie, on imagine déjà qu'il faille s'arrêter à Hierro (dernière île des Canaries) pour refaire le plein et attendre encore le vent. Mais au bout d'une heure, les affaires reprennent et plutôt trop bien, on prend un deuxième ris, il y a des grains et 25 noeuds de vent !! ...
Tout (et tous) finira par être raisonnable, sauf les estomacs en vrac. On installe les quarts pour la nuit et RAS jusqu'à...
Voilà comment se passe un départ de transatlantique !

 

Deuxième nuit

J'ai le quart 21h30 - 00h30 et celui-là est bien beau. Etoiles filantes, douceur des formes des nuages qui se dessinent passant sur la pleine lune qui, elle, monte toujours plus haut, une mer qui berce par ses flux et ses chuintements, douceur de l'air avec un souffle qui agace un peu les cheveux, sérénité due à la solitude ou à l'immensité qui nous entoure. Je me surprends à sourire au ciel ! J'aime la mer, je suis heureuse sur l'eau et sur mon bateau même si parfois la force de ces éléments m'effraie et mon bateau me fait peur.
Pendant ce temps, je ne sais pas si Etienne savoure ces moments exceptionnels. Il dort, se lève pour manger puis vomir, contrôler les voiles ou la météo mais en somme, depuis 24 heures, il est allongé, tout habillé, sur la banquette du carré, à l'intérieur.

 

Mercredi 14 décembre

André prend son quart, il décide de s'occuper de la ligne de pêche au lever du soleil et à 9 heures, une petite dorade coryphène est au fond du cockpit. Sa réputation n'est pas à remettre en question ! Alors, aujourd'hui, au menu, poisson cru mariné tout frais.

 

Vendredi 16 décembre

Forme olympique aujourd'hui. Réveil matinal pour tout le monde et pas une sieste !
André, pendant son quart, a vu des dauphins au lever du jour. Il fait très beau et nous n'avons jamais eu chaud comme ça (même à terre). Seul hic, pas de vent. Nous en profitons, Jean-Marie et moi, pour nous asperger d'eau à l'arrière du bateau avec rincette à l'eau douce chauffée dans la douche solaire. Au moment de me mettre à l'eau, je vois une dorade qui nous suit, juste là, sous le balcon à l'arrière du bateau. C'est trop tentant pour André qui remonte aussitôt sa ligne et d'ailleurs, un poisson a mordu. Est-ce celui que l'on venait de voir ? Malheureusement pour nous, le poisson échappe à ses prédateurs au moment de le remonter sur le bateau. L'après-midi, c'est au tour d'André et Etienne de prendre leur douche. Dans l'intervalle, Jean-Marie nous a concocté son premier pain à bord et a dévoilé le secret de l'activation de la levure au miel et à l'eau tiède ...
J'ai vécu un moment exceptionnel (encore un !) pendant que les hommes démontaient la pompe des toilettes pour changer le joint dont vous avez déjà entendu parler dans les commentaires précédents. Un banc de dauphins est arrivé et s'est installé un long moment devant l'étrave du bateau. Je me suis assise à la proue et mes pieds étaient à cinquante centimètres d'eux. Je n'ai jamais pu les toucher mais ils m'ont éclaboussée et se sont mis sur le flanc afin de mieux me regarder (j'interprète sûrement). En tout cas, je n'avais jamais vu de dauphins en liberté d'aussi près, aussi bien et aussi longtemps. Il y avait un bébé, un qui était blessé, des tout gris (ou bleu ?) et des mouchetés avec le bout du museau tout blanc, tous ont le ventre plus clair. C'était formidable !
J'étais loin de me douter que pendant ce temps, les hommes étaient affairés à remonter une autre petite dorade. Heu, rien à voir avec les dorades de supermarché effectivement très petites ! ... Nous avons regardé le coucher de soleil sans apercevoir le mythique rayon vert et j'ai vu pour la première fois la lune se lever sur l'eau. Ca aussi, c'était magnifique. Une boule rose qui s'élève dans le noir traversant les nuages pour enfin blanchir et se refléter sur l'eau.
L'anecdote du dîner est qu'après avoir dégusté le poisson en papillote, le gratin dauphinois a atterri par terre. Banal, qui ne connaît pas les nouilles à la serpillière sur un bateau ?
Ce soir, la mer est d'huile, nous ne l'avions encore jamais vu comme ça depuis que nous sommes sur les flots. Que de nouveautés !
A 9 jours de Noël, nous sommes bien loin des préparatifs et de l'effervescence qui entourent les fêtes de fin d'année. C'est vraiment une expérience unique et à part ! 

 

Dimanche 18 décembre

On hisse de nouveau les voiles ce matin à 10h30 car un frémissement se fait sentir.
On envisage de s'arrêter à Sao Vicente, une île au Nord Ouest de l'archipel du Cap Vert afin de remplir le réservoir de gasoil.
Surtout, nous venons de vivre encore des moments forts.
André commence la journée en remontant une petite dorade sous nos yeux tout juste réveillés. Nous allions prendre le petit déj lorsque la première touche à la ligne s'est faite entendre. Loupé. Puis, le deuxième est arrivé. Attrapé. Alors, on retire la ligne pour pouvoir déjeuner tranquille ! Bien sûr, on a fini par la remettre à l'eau mais après un spectacle extraordinaire. C'est toujours par nos amis les dauphins que les distractions sont les plus exceptionnelles. Vous ne nous croirez peut-être pas mais il y en avait des centaines, j'estime, sans exagérer, à 200 tout autour du bateau puis au moins le triple au large. Certains ont fait des sauts de 5 mètres, en gesticulant en l'air, quelque fois à l'avant du bateau et plus souvent à l'horizon. Je n'ai cessé de penser au film du "Grand bleu", la même chose sous nos yeux ! En prime, quelques poissons volants s'y sont mêlés, et ça, d'après Simon, ça annonce les alizés.
Revenons à nos poissons, après le banc de dauphins traversé, la ligne est donc remise à l'eau car l'équipage trouvait que les 2 premiers étaient un peu trop modestes ! Il n'y a qu'à demander, la troisième dorade coryphène fut forcément bien plus imposante. A tel point qu'André a paré son copain, Jean-Marie, d'un baudrier à la forme évocatrice et suspecte à la fois... Et la prise fut bonne, comme quoi, quand on est bien monté...
Maintenant, faut que je vous laisse, va falloir cuisiner !

 

Lundi 19 décembre

J'ai enfin aperçu les feux d'un bateau pendant mon quart.
Encore une dorade dans l'escarcelle que nous avons dégusté à midi. Je vais finir par être experte pour les mille et une manières de les préparer. Ah, si mon père me voyait ! Jamais mangé autant de poissons, décortiqués par mes soins (qu'une fois cuit, faut pas exagérer !) et d'une rapidité... que je sais enfin ne plus les émietter et quelle saveur ils ont lorsqu'ils sont encore chauds !
Après une semaine en mer, on aperçoit enfin la terre. Après être passés entre 2 îles rocheuses du Cap Vert, aux reflets ocre, brique, jaune et bien sûr vert, nous avons atterri sur l'île de Sao Vicente à 16 heures et y sommes restés 2 heures. Juste histoire de faire le plein en gasoil car les alizés n'étant pas encore établis (c'est pour aller les chercher que nous sommes descendus si au sud), on craint d'autres journées sans vent et serons donc plus rassurés d'avoir des réserves de carburant. Nous en avons profité pour débarquer les poubelles et faire le plein d'eau mais fallait pas rêver pour la douche, là il n'y en a point. Pendant que les papys bricolaient à tout ça ainsi qu'à d'autres rivets et poulies, nous sommes allés faire quelques courses en "ville" à Mindelo. Parmi les mouches, nous avons trouvé quelques bananes ou concombres, etc. Avec la chaleur, on a vu les gens assis devant le pas de leur maison aux volets fermés. La façade principale des maisons est peinte, les autres murs laissant voir des briques grises façon torchis.

 

La suite au prochain épisode, avec les photos ...

Publié dans Grandes navigations

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M
Waow ! Bein, je vois rien d'autre à ajouter. Ah si : waow de waow de waow !!!Ca fait quand même du bien de vous lire...Big bisous,CarlosPS : ordinateur Elise Ok.
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